Des verres tintent. Le souffle de la grosse machine à laver réchauffe la pièce d'humidité. Une odeur de friture demeure, suspendu dans l'air comme un spectre, ou probablement incrustée dans mon nez. Il est tard, je le sais à la tension dans mes cuisses, la douleur dans mes talons et la barre qui écrase mon front. Je l'entends aux conversations calmes, éparses dans la pièce voisine. Je le sens à l'odeur du produit vaisselle, l'huile froide et le détergeant au sol qui sèche tout doucement. Le dernier service est terminée. La cuisine est close, rangée et nettoyée. Il reste un dernier bac de vaisselle entrain de tourner, mais on s'en occupera demain en arrivant. J'ai dans ma poche une petite carte qui me brûle la peau à travers mon pantalon, et la tension de l'anticipation dans la nuque. La veste blanche est troquée contre un blouson noir et une épaisse écharpe brune. L'air vaporeux de la cuisine du chalet contre la gelure nocturne des paysages montagneux. Le tabac pique ma langue dans une première bouffée de fumée. Je n'ai pas de voiture, mais je ne vais pas bien loin.

Blue river de jour est une jolie ville construite autour d'une jolie rivière, au milieu d'un joli environnement. Les montagnes gonflent un peu plus loin, un peu plus haut, mais la neige blanchit le regard à profusion. Quelques flocons dansent au-dessus de ma tête, mais aucun n'atteint le sol ce soir. Mes pas craquent pendant de longues minutes avant d'atteindre un groupe de petits bâtiments. Une main dans la poche, l'autre tremblante qui tient le petit bâton de mort, la carte m'a été donnée par Sarah, la mécano qui vient chercher un café chaque matin de la semaine avant d'aller bosser au garage. Je ne suis ici que depuis quelques mois mais elle et moi nous entendons plutôt bien, au point de lui raconter ma situation. Oh, pas dans son ensemble, mais juste ce qui pourrait la concerner : l'illégalité de mon existence. Il s'avère qu'elle connait la situation. Il s'avère qu'elle l'a vécu. Il s'avère qu'elle connait quelqu'un qui peut m'aider. Il s'avère que lorsqu'elle m'a donné cette carte, j'y ai senti une faible énergie qu'elle semblait ignorer. Ou peut-être ne l'a-t-elle simplement pas mentionnée. Toujours est-il qu'elle vient avec ses instructions, et que ces instructions me mènent à l'agressive lueur d'un vieux projecteur automatique, derrière quelques garages à louer.

La neige est marquée ici de traces de roues, plusieurs même. La lumière blanche se reflètent dans les cristaux sales et je longe doucement les quelques portails coulissants. La clope meurt dans le froid et je tire la petite carte de ma poche. L'adresse, le jour et l'heure, voilà tout ce qui est écrit dessus. Soit là-bas à minuit avec la carte, qu'elle a dit. Alors j'y suis. Alors j'attends. Alors l'envie de m'en griller une autre chatouille le bout de mes doigts, mais le souffle déjà opaque qui franchit mes lèvres m'en empêche, pour l'instant. - For fuck sake... - Une minute passe. Une suivante. Je perds patience. Le gars est-il en retard ? Viendra-t-il seulement ? Je pivote, soupire d'un nuage blanc. - What the... - Là, entre deux portails bruns, une porte bleutée se tient, silencieuse. Elle n'était pas là avant, je l'aurais vu. Est-ce... Ai-je créé ça ? Si c'est le cas, je devrais peut-être m'éloigner. Fuir. Non, l'énergie est différente. Sophistiquée. Un pas en avant. Une tension au milieu du dos et la sensation que je fais une connerie. Que je joue avec le feu. Sarah est digne de confiance, non? De quoi ai-je peur ? De cette porte qui n'a rien à foutre là? Vieux bois sculpté à moitié décrépi ? Et si ce Bookwyrm pouvait m'aider durablement ? Et s'il pouvait mettre une pause à mes incessantes cavales ? Et s'il me tuait avant mes parents ? Et s'il travaillait pour eux ? Et si ce n'était qu'un vaste piège dans lequel je venais de marcher, aussi stupide que dans mes jeunes années ? Je secoue la tête, ferme les yeux. Un pas de plus. Je peux toujours laisser le chaos exploser et fuir une nouvelle fois. Knock knock knock.

"Keep holding on" CLANG "When my brain's ticking like a bomb" CLANG "Guess the black thoughts  have come again to get me" CLANG.

Des gouttes de sueurs perlent sur son front alors que les coups de marteau viennent marquer le rythme de la musique hurlée par la petite enceintes portative posée à quelques dizaines de centimètres de lui. La cuisine s'est à nouveau transformée, lieu de changements constants, cette fois en forge improvisée. Bouteille de propane, cuve remplie d'eau, plans griffonnés sur des feuilles de papier volantes et autres outils de métallurgie s'éparpillent partout autour de lui, jonchant chaque centimètre de comptoir, tabouret et sol environnant.

CLANG.

Récupérer les souvenirs de ses ancêtres et être capable d'en répliquer le savoir-faire sont deux choses différentes. Une leçon qu'il a compris bien des années auparavant lors d'une tentative désastreuse de pickpocketing qui lui avait valut une sérieuse fracture à la mâchoire.

CLANG.

Tenter de maîtriser ces techniques qui hantent les méandres changeantes de sa mémoire est depuis devenu un passe temps auquel il s'adonne, entre deux jobs, lorsqu'il ressent le besoin de se vider l'esprit, de se concentrer sur quelque chose de plus physique que les problématiques soulevées par son "métier", mais aussi comme moyen d'évacuer les tensions qu'il est toujours incapable d'éviter, même après autant d'années d'expérience.

CLANG.

Un nouveau venu est toujours source de danger potentiel, aussi fidèle et digne de confiance que soit le contact qui le lui envoie. L'humain est faillible, et le bouche à oreille en mobilise au moins deux, ce qui augmente les chances de voir arriver un boulet, ou pire, quelqu'un de mal intentionné.

CLANG.

Il a senti son sortilège changer de mains le matin-même, quittant la présence connue de Sarah Marquez pour une autre, à laquelle il lui semble n'avoir jamais été confronté auparavant.

CLANG.

Alors il forge. Ou tente de forger. Parce que le souvenir du geste qui n'est pas le sien lui apporte satisfaction. Parce que l'utilisation de ses muscles pour marteler le métal brûlant est synonyme d'une endorphine bienvenue, qui l'aide à se détendre avant l'arrivée de son nouveau client, et potentiellement de travail intensif dans les semaines à venir.

La lame plonge dans l'eau dans un sifflement de vapeur furieuse à l'instant où les trois coups retentissent contre le battant de la porte de l'appartement. Présence seule de l'autre côté de l'huis. Pas suffisant pour qu'il baisse sa garde, mais déjà plus encourageant que d'autres rencontres.

Il tire la dague du récipient aqueux. Le rendu est brouillon, imparfait, grossier. Une moue presque imperceptible vient déformer sa lèvre inférieure, alors que la porte se déverrouille et pivote d'elle-même pour laisser entrer le nouveau venu.

L'arme imparfaite rejoint un coin du comptoir dans un clinquement métallique, il retire les épais gants de cuir qui recouvraient ses mains perpétuellement tâchées de bleu et passe un revers de paume pour dégager les gouttes de sueur qui lui collent quelques mèches de cheveux au front. Une silhouette masculine ne tarde pas à venir remplir l'encadrement de la porte de la cuisine, et il se tourne lentement vers celle-ci, laissant de longues secondes s'écouler alors qu'il inspecte soigneusement l'inconnu de la tête aux pieds.

Jeune, mais pas un gamin non plus. Pas en mauvaise santé, mais l'air tendu et fatigué de ceux qui n'ont pas dormi la conscience tranquille depuis un peu trop longtemps. Et l'attitude un brin sur la défensive de ceux qui ne savent pas exactement où est-ce qu'ils sont en train de mettre les pieds.

Son visage à lui reste impassible, analytique, ses yeux sombres désormais braqués dans ceux de sont vis-à-vis.

- So? What's your deal?

La porte grince vers l'intérieur, ouvre un passage sur un couloir tamisé d'une lueur vive et dansante. Le vieux papier peint est déchiré par endroit, jauni à d'autres. Une partie a simplement disparu, retirée. Rénovation ? Aucune idée. Il y a une odeur de brûlé dans l'air. Le piquant du métal chaud. J'en entends le bruit, jeté ou tombé. J'hésites, le cul au froid et la face attirée par cette chaleur secrète, le mystère de l'impossible et l'inquiétude du danger. Qu'ai-je à perdre à part la vie que j'essaye de sauver ? Un pas en avant. Un frisson remonte le long de mon corps au moment où je traverse la porte. S'agit-il du choc thermique, ou du sortilège qui relie les deux lieux ? Aucune idée. Un sorcier mieux formé l'aurait certainement identifié. Mes mains ne sont plus dans mes poches, elles attendent, faussement innocente, la moindre menace. Mes jambes n'attendent qu'une chose : repartir dans l'autre sens, mais c'est ma tête qui me pousse à continuer d'avancer vers la lumière. Vers l'origine de la chaleur. De cette musique. Mes parents considérait le métal, et toute musique trop bruyante, comme un insoutenable bruit sans âme ni beauté. C'est donc tout naturellement que, quand bien même ce n'est pas mon genre spécifiquement, j'éprouve toujours une forme de confort en l'entendant. Le confort de savoir que je profite de quelque chose qu'ils détestent. Comme de ma vie, par exemple. - So? What's your deal?

Brun, les yeux sombres dans le reflet de la lumière et des flammes, grand même si je le suis plus encore. Ça n'a rien de surprenant, la tendance s'inverse rarement. Il me détaille du regard, le visage sans la moindre expression, et tout ce à quoi je peux penser c'est que sa cuisine est dans un état absolument lamentable. Et que ça fait de longues secondes qu'on se regarde en chien de faillance sans que ma bouche entrouverte n'offre le moindre son en réponse. - I'm... - Thomas. Nolan. Lequel donner? Si cet homme doit m'aider, autant être honnête, mais qui est-il exactement ? J'ai beau faire confiance à Sarah, je ne connais pas ce forgeron d'intérieur. Et si c'était un vaste piège ? - My current name is Thomas. Sarah arranged this meeting. Sarah Marquez. I've been going around for years on my own, but I don't think I can do this alone any longer. - Est-ce que je sonne comme un gars désespéré entrain de rassembler le courage d'inviter quelqu'un à sortir ? Pourquoi est-ce que j'ai ce stupide parallèle dans le crâne ? - I'm on run. Been on the run for a decade now. Well, more than that. I... I managed, I had to, but I learned on the spot. Papers and lies work for a time, but they always crumble and I have to move. And I'm tired of moving.

Les mots se multiplient et je réalise ne pas avoir eu l'occasion de raconter tout ça à tant de monde. Lui, Sarah, et qui d'autres ? Combien de doigts restent-ils sur une main ? Et j'ai honte. Ma voix hésite parce que j'ai honte. J'ai peur qu'on me retrouve et j'ai honte de ce que je lui explique. Parce que j'ai besoin d'aide? Non, parce que je suis recherché. Parce que mes parents veulent me tuer. Parce que dans le crâne d'un gamin de 16 ans encore quelque part à l'intérieur, peut-être, juste peut-être, qu'ils ont raison. - My deal is that I need help, a fresh and durable start. Sarah told me you could provide that help. - Je n'ose pas passer le pas de cette porte-ci, mais ma voix s'accélère lorsque je réalise qu'il ne donne certainement pas dans la charité. - I assume it's not free. I have enough money to get by, but I'm sure we can find a way. Assuming you accept, of course. I mean, you don't have to. Obviously. It's probably not safe for you either. Maybe I should leave you to think about it, come back or...

De longues secondes de silence s’étirent alors que le gamin en face de lui réfléchit, hésite, avant de balbutier une réponse hésitante, qui gonfle rapidement, prenant légèrement en assurance alors que les mots s’enchaînent comme si un barrage avait sauté, se déversant à la limite de la logorrhée. Il le fixe encore un moment alors que le ton revient à l’hésitation incertaine, vient croiser ses bras sur son torse, tout en maintenant sa poker face la plus professionnellle.

- Okay. Y a du bon, et du moins bon.

Il reste immobile un instant, jaugeant le fugitif pour essayer d’en tirer un peu plus. Début de la trentaine à tout casser, un accent à peine perceptible qui trahit un anglais non natif à l’oreille la plus attentive, et suffisamment de détermination pour lui balancer tous ces éléments malgré une attitude qui trahit une nervosité profondément ancrée.

Il décroise les bras, pivote légèrement vers le comptoir où trône la forge portative, offrant son profil gauche à son hôte de sorte à le garder dans son champs de vision. Il n’a pas l’air particulièrement dangereux au premier abord, mais baisser sa garde face à un parfait inconnu qui ne lui a encore apporté aucune preuve de bonne fois serait au de stupide.

- Ne pas me donner ton vrai nom pour commencer. Bon début. M’avouer dans la même phrase que ça n’est pas ton vrai nom, déjà beaucoup moins bien.

Il ramasse les outils qui traînent, pousse le tout vers un coin du comptoir, en hésitant les pièces de métal encore brûlante, dans une manoeuvre qui s’approche plus de l’entassement de matériel que d’une véritable tentative de rangement.

- Shouldn’t have given me Sarah’s name either. Could be putting her or yourself in danger. You don’t know what my relationship with her is. For all you know, I could be one of those fucking psycho mobster guys that hold grudges against old acquaintances. Or she could have sent you to a bounty hunter to pocket whatever money’s on your head. Glad you still have the ability to trust after running for ten years, but be careful who you give your trust to. Especially the one you haven’t known for long. And I assume you haven’t’, known her for long, considering you’re ‘tired of moving’.

Ses pas l’amènent jusqu’à la cuisinière, et il débarrasse celle-ci avec la même approximation qui a guidé son rangement du comptoir. Mettant de côté une casserole au fond de laquelle a accroché une décoction d’herbes désormais à peine identifiables.

- So. Now that you think I’m a lesson-giving patronizing asshole feeling entitled to lecture you on not giving your trust easily, I’m going to have to gain said trust. Cause I won’t go far helping you if I don’t know your full story. Or at least most of it. So we’re going to have a nice talk by the fireplace, hmm? Tea or coffee?

Okay. Y a du bon, et du moins bon. - Je ne m'attendais pas à cette réponse. Je ne sais pas exactement à quoi je m'attendais, mais pas à cette réponse. Et d'un autre côté, j'aurais dû, parce que ce qui suit est parfaitement logique. Et vrai. La confiance est une chose marrante, quand on y pense. Elle s'accorde et se retire, fait échos à son reflet ou hurle dans le vent d'une caverne vide. Et pendant qu'il m'explique le positif et négatif de mes dernières paroles, je croise les bras. Je n'ai pas honte, je ne boude pas comme un enfant. Je sais pourquoi je suis ici, ce que je viens chercher. Je n'aime simplement pas me sentir décortiqué. - I gave you my fake name so you know how to call me. I told you it was fake because I assumed starting this... - Je mime des flèches invisibles entre nous deux. - ... would imply to be honest with each other. The rest... The rest is exactly why I'm here. - Plus de dix ans à crapahuter à travers les Etats-Unis, me poser quelque part, les fringues toujours dans le sac, et disparaitre au moindre problème. J'ai appris par la force des choses, mais l'urgence mène aux erreurs. Des failles que je ne peux me permettre si je souhaite cesser de fuir. - Either is fine. - Je ne compte pas en boire une goutte de toute façon. Il y a certaines autres bonnes choses que j'ai apprise. Consommer quoi que ce soit implique le risque de se retrouver à moitié amorphe à l'arrière d'un vanne.

Un sourire à peine dessiné vient étirer le coin droit de ses lèvres, presque imperceptible. Le gamin en face de lui n'est pas stupide, et s'il y avait des failles dans sa présentation, la réflexion qui a alimenté celle-ci se tient à peu près.

- Good.

Le mot est lâché dans un presque murmure, plus comme une note à sa propre attention qu'un commentaire destiné à celui qui se fait appeler Thomas.

-Honesty it is then.

Il tourne enfin le dos à son hôte, venant déplacer le désordre qui hante sa cuisine pour en tirer une minuscule casserole de cuivre, dans laquelle il jette café, grains de pistache et eau froide avant de jeter le tout sur le feu.

- Don't suppose Sarah told you much before sending you here. Or at least I hope she didn't, cause that would mean she and I need to have a serious conversation about trust and neither of us would like that.

Ses yeux restent rivés sur sa préparation, ne gardant son attention qu'à moitié sur la silhouette masculine à la périphérie de son champ de vision. Il guette les premiers frémissements de la boisson, prêt à couper immédiatement le feu pour éviter que café ne bouille.

- You can call me Book. I don't care for any other name, and not telling you the one I was given at birth is not for a lack of trust but because it's not who I am anymore. I have lived through both World Wars and will probably still be there when the third one comes along. I am wanted by too many people for me to be able to name them without forgetting one. Ratting me out would probably give you a lot of favors in some circles, but it would probably not help you in the long run, which I believe I am able to do.

Il ferme le robinet de gaz, verse immédiatement le contenu du récipient dans deux tasses tirées d'un placard à peu près rangé, fixe "Thomas" une longue seconde, avant de lui indiquer de le suivre d'un mouvement de tête et de quitter la cuisine en direction du salon. Ses pas évitent les documents entassés autour de la pièce, empruntant un chemin précis qu'il s'est vite habitué à suivre pour éviter de déranger ce que d'aucuns qualifieraient de chaos, mais qu'il considère lui-même comme un système de tri tout à fait personnel.

Les deux tasses brûlantes rejoignent une petite table d'appoint, devant une cheminée dans laquelle rougeoient encore quelques braises mourantes, et de part et d'autres de laquelle sont placés deux fauteuils au confort égal à leur ancienneté, qui se lit à l'usure du tissu. Il s’assoit dans l'un, attend que son invité en fasse de même en face, avant de reprendre.

- So. Been running for about ten years. Tired. Want a new start. I can help with that, give you a new identity. A lasting one. Provide you with ways to keep under the radar. Find somewhere for you to stay and call home. A job. A proper life.

Il marque une pause fixe son futur protégé par dessus ses mains serrées autour de sa tasse qu'il a récupérée, rassemblant ses pensées et les bribes d'indices que son vis-à-vis lui a déjà donné, sciemment ou non.

- But I'm going to need some answers first. Ten years is a long time. No normal human being, without training or very refined skills in forgery and stealth can make it for that long. So I am going to ask again, and if you want me to help, I am going to need a bit more than what you already gave me. What is your deal?

She didn't. I only you can help me. - Ça, qu'il est particulièrement bon dans ce qu'il fait, qu'il est désordonné mais intelligent, qu'il a certainement attrait aux arcanes, que ça vienne de lui, d'un artefact ou d'un tier, et qu'il est soit disant digne de confiance. Et que son café sent atrocement bon. - You can call me Book. - Le nom s'enregistre dans mon esprit, même s'il confirme dans les secondes qui suivent qu'il s'agit d'un nom choisi, pas donné. Je serais bien le dernier à lui reprocher l'usage d'un nom d'emprunt alors que le mien est terré dans ma mémoire, plus de dix ans dans le passé. Ce qu'il dit ensuite a de quoi décontenancer. Et à vrai dire je ne sais pas comment prendre les informations qu'il me donne. Vérité? Mensonge? Faire le choix d'être honnête ne m'assure pas qu'il en fera autant. Je préfère prendre ces affirmations avec des pincettes et m'en tenir à ce que je sais devoir être vrai : le but de ma présence ici. -

So. Been running for about ten years. Tired. Want a new start. I can help with that, give you a new identity. A lasting one. Provide you with ways to keep under the radar. Find somewhere for you to stay and call home. A job. A proper life. - I am done with short term arrangements. - Fais-je en référence à ces quelques mots passés, aux différentes entités qui pourraient lui vouloir du mal. S'il peut m'aider, durablement, je n'ai rien à gagner à le vendre au plus offrant. Pire, une telle réputation et l'argent qui en viendrait attirerait sur moi une attention dont je ne veux pas. Dont personne ne devrait vouloir. Il m'invite à changer de pièce et nous abandonne le bordel de la cuisine pour un bordel tout autre. Papiers et dossiers s'empilent en des colonnes à l'équilibre  précaire. Je le suis avec attention, prudence, dans ce labyrinthe et jusqu'à deux fauteuils. Il prend position devant l'un d'eux mais attend que je sois assis pour en faire de même. - But I'm going to need some answers first. Ten years is a long time. No normal human being, without training or very refined skills in forgery and stealth can make it for that long. So I am going to ask again, and if you want me to help, I am going to need a bit more than what you already gave me. What is your deal?

Les mots tintent dans mon crâne comme la lame d'une énorme hache chante dans l'air avant de séparer la tête de ses épaules. Je sais ce qu'il demande. Je sais parfaitement la faille dans laquelle il cherche à s'engouffrer. Simultanément la source de mes problèmes et de ma survie. - I'm... - Mes doigts gesticulent mais pas la moindre nuance de rouge ne se manifeste. Et l'évidence me tombe dessus en une tension le long de la nuque : je suis impuissant. Et pourtant, un sourire amusé, pincé, éprend mes lèvres. Il pourrait me tuer d'un claquement de doigts. - I'm currently at your mercy, apparently. - Et pour la première fois depuis de longues minutes, je me détends. Mon dos s'affale sur le fauteuil qui pourrait me dévorer. Mes yeux se ferment sur un homme qui pourrait bondir et arracher ma gorge. Un soupir de soulagement m'échappe, alors que je devrais être au fond du gouffre de la peur. - I come from a long line of arcane users, witch and sorcerers, and they don't like me very much. - Je me redresse, retrouve son regard. - Meaning, my parents want to kill me. They tried before, that's why I left. My abilities did as much for my survival as they wronged me and put me at risk. I learned forgery and how to adapt to a new environement by myself, shadowing some people but eventually being let down or betrayed. I'm not great at it, but it does the trick for a time. But... - Mon dos retrouve le confort usé du fauteuil. - ... I'm growing tired of "for a time".

Il écoute attentivement, les yeux rivés sur son vis-à-vis par dessus la tasse de café encore fumant entre ses mains. Son regard accroche le mouvement des doigts cherchant à manifester sans succès ce qu'il devine être un brin de magie, et il se détend légèrement. Les runes disséminées autour de l'appartement font leur office, lui assurent au moins cette sécurité. Un danger de moins à guetter chez cet inconnu qui réclame son aide, et qui ne dispense les réponses qu'il voudrait avoir qu'au compte-goutte.

Il comprend l'instinct, le besoin de se protéger, l'impossibilité de baisser complètement sa garde et de se laisser aller à une confiance qui pourrait le mener à sa perte. Ca n'empêche pas un pointe d'agacement de venir le piquer, parce qu'il avance toujours beaucoup plus lentement avec ceux qui font de la rétention d'informations. Que dans son métier, pour peu qu'on puisse le qualifier de tel, ce genre d'inconnue est une faille dans laquelle pourraient s'engouffrer trop grand nombre de problèmes.

Les explications lacunaires se terminent, il pose sa tasse vide sur la table d'appoint dans un claquement sec avant de se lever, arpentant le salon encombré dans différentes directions pour récupérer quelques ustensiles. Encre, pinceau, craie et une épingle viennent rejoindre les côtés de la tasse.

- Do you know Uzarith's Binding? It's an oath-making ritual, destined to bind people to their word. That way you can be sure I am unable to bring you harm, and we can start actually talking without lies and half truths. Cause we're not gonna get anywhere if I have to dig for answers. I need to know your whole story, in asmuch details as possible. That way I might be able to cover avery cracks and loopholes one could use to get to you.

Il tend la main, ses iris plantés dans ceux de son vis-à-vis.

- Deal?

Do you know Uzarith's Binding? - Mon visage se tend d'incertitude, d'ignorance. Ce nom ne me dit rien, et ce mot ne m'enchante pas. Qu'est-ce qui est contraint, exactement ? Il revient avec des éléments relativement simples, de quoi inscrire quelque chose. Un genre de contrat ? Et à moins qu'il compte crocheter une serrure avec cette épingle, je suppose que le sang est impliqué comme une forme de signature. Sceller le lien. Sceller le piège ? Mon dos se crispe, l'instinct de survie s'active. La paranoïa, comme d'autres l'appelleraient. Il explique, brièvement, et si j'avais pu accéder ma magie, j'aurais peut-être pu savoir s'il me ment ou non. Peut-être. S'il me veut du mal. Mais Sarah me voudrait-elle du mal aussi ? Mes parents doivent-ils être à chaque tournant de rue ? Dans chaque recoin de mon existence ? Chaque ombre leur silhouette, et un poignard à la main ? J'ai déjà fait ce cauchemar plus d'un fois, peut-être ai-je oublié que pour le commun des mortels, le monde réel et le monde des rêves ne sont pas des vases communicants.

Deal? - Mon savoir en magie, en sortilèges et en arcane est limité, mais je suis malin. J'ai un bon instinct. Tant que cette épingle ne pique pas mon doigt, je peux encore m'en dépêtrer. Tant que je reste attentif, je peux repérer les pièges avant qu'ils ne se referment. Et puis, peut-être que cette épingle ne me touchera jamais. Après tout, il n'a pas dit que le rituel s'appliquait à nous deux. Il n'a parlé que de lui. - Go on.

- Go on.

Pas une once de confiance, ni dans l'intonation des mots, ni dans l'attitude générale. Il ne s'en formalise pas. C'est loin d'être la première fois qu'il se trouve face à ce genre de façade emmurée, cimentée de méfiance. Rien d'étonnant dans ce domaine et les personnes qu'il amène à côtoyer.

Alors il hoche simplement la tête et s'active, venant tracer un cercle de glyphes à même le parquet déjà abîmé, s'applique, les mots d'une langue perdue glissant entre ses lèvres en un murmure ininterrompu. Il tisse la base du sort, solide, qui l'obligera à tenir le serment qu'il prépare, et que seule la mort du récipient viendrait à briser.

Le socle tracé, il se redresse, plante à nouveau ses yeux dans ceux de son futur protégé, tout en effaçant le résidu de craie blanchissant ses paumes sur la toile de son treillis.

- Uzarith était un mage brillant. Au point d'en devenir paranoïaque. De croire que n'importe lequel de ses disciples était prêt à le trahir pour s'emparer de ses créations et les retourner contre lui. Il en est venu à créer un rituel qui permettait de le lier à ceux qui lui prêtaient allégeance. De leur faire prêter un serment à l'encontre duquel il serait impossible d'aller tant qu'il était en vie. Il s'en est servi pour faire jurer à chacun de ses élèves une fidélité qu'il ne leur serait jamais possible de trahir.

Il vient récupérer le pinceau, le trempe dans l'encre, et continue la préparation du sort en venant dessiner de nouvelle ligne sur la peau nue de ses bras.

- Au bout du compte, c'est à peu près la seule chose qu'on ai recouvré de ses travaux. A force de faire promettre à ses proches de ne jamais révéler ses secrets, ils ont tous été perdus, à l'exception de son Serment.

Le pinceau et l'encrier rejoignent à nouveau la table. Lui contemple quelques secondes le fruit de son travail, vérifiant d'un œil rapide n'avoir commis aucune erreur. Il vient finalement saisir l'aiguille, laquelle perce le bout de son doigt en une seconde, avant qu'il ne ferme l'espace le séparant de Thomas pour lui prendre l'outil.

- C'est la première et dernière fois que je te demande de me faire confiance sans garantie. Une goutte de mon sang au milieu du cercle, je prête serment, tu ajoute le tiens, les arcanes scellent le reste.

Il recule d'un pas, se place au milieu des glyphes, joignant le geste à la parole en laissant la perle carmin sur la pulpe de son doigt rejoindre le sol.

La craie crépite, l'encre sur ses bras ondule, alors que le rituel prend vie, et qu'il sent déjà le lien entre eux commencer à s'établir.

- I'm the Bookwyrm, and under the watchful eye of Uzarith the Keen, I swear never to willingly bring you harm, unless you should do the same.

Le cercle se décolle du sol, comme une décalcomanie lumineuse s'arrachant à la surface du bois pour s'élever dans les airs.

- Never will I reveal against your own free will your secrets and bring them into the prying light, or unveil the true meaning of your name.

L'encre sur sa peau brûle et s'agite, se soulève en tentacules aqueux qui cherchent d'abord paresseusement l'air autour d'eux, avant de venir brutalement s'enrouler autour du cercle.

- Let it be so.