Catch Me
Les jours de pluie ont ce prisme indéfinissable qui distord la trame du quotidien. Comme si le temps s'écoulait soudainement différemment, les habitudes bousculées par ceux qui se pressent pour éviter les gouttes, là où les autres s'enferment dans l'immobilité confortable d'une sécheresse toute domestique.
Aucune efficacité dans ses gestes ce jour. Il est resté presque immobile, des heures durant, au milieu d'une masse de papier qui se refusait à se soumettre à ses tentatives de productivité. Lignes d'encre se dérobant à son attention, comme rendues floues par une certaine lassitude inhabituelle. Il a fini par laisser tomber, attraper un manteau au hasard et quitter l'appartement devenu cellule stérile.
Aussi ses pas résonnent sans bruit, leur écho aqueux noyé dans la mélodie des gouttes qui viennent tremper le bitume et sa tête restée nue. Il marche sans but, déambulant sous la pluie comme pour en absorber la quiétude, l'eau ruisselant sur ses mèches; pour exister un instant hors du travail auquel il consacre sa vie; feuille sur feuille, mensonge après mensonge, inlassablement couchés d'une police régulière pour protéger les oubliés, cour des miracles discrète murée dans le silence de l'illégalité.
Il profite, de longues minutes, laissant ses pensées vagabonder loin de ses préoccupations habituelles, dans cet espace de vague cognitif où rien n'est vraiment tangible, où se heurtent tranquillement fragments de souvenirs flous et embryons de réflexions informes, sans jamais vraiment créer de fil conducteur, alors qu'il déambule.
Et puis ses pas le mènent au hasard des rues dans un coin plus désert qu'un autre, et son esprit revient en focus, presque par accident, alors que son regard capte un reflet qu'il n'aurait pas dû, qui aurait pu lui échapper, à travers le flou météorologique qui le berce depuis pas loin d'une heure.
Mèches collées à son front. Humidité omniprésente, ayant réussi à s'infiltrer jusque dans ses combat boots. Chaque pas soulève quantité d'eau venant désagréablement glisser entre ses orteils. Le manteau colle presque à sa peau glacée, et le bout de ses doigts bleuis d'encre est engourdi au point presque de ne plus rien sentir.
Ses iris ont capté, malgré lui, un manège étrange qu'il a suivi sans s'en rendre compte. Une silhouette masculine, esseulée, au trajet illogique. Et l'éclat froid d'une lame pourtant dissimulée, présage d'intentions discutables qui lui tirent un soupir, nuage de vapeur bien vite dissout par l'averse qui n'en finit plus de tomber.
Ses mains rejoignent le fond de ses poches, la pulpe de ses doigts engourdis venant s'accrocher autour de petits flacons comme d'autre s’accrocheraient à une arme, présence familière et rassurante qui ne le quitte presque jamais. Il presse le pas, tachant de rester silencieux, ses pieds évitant, avec la force de l'habitude, les flaques les plus profondes qui ne manqueraient pas de révéler sa présence à grand bruit éclaboussé. Et il tisse, presque d'instinct, un sort de camouflage, léger, qui vient tout juste assez diminuer sa présence pour qu'on ne le remarque qu'en cherchant précisément à lui porter attention.
Son inconnu s'arrête à l'angle d'une ruelle, attend, avec la patience tranquille de celui qui traque et sait que sa proie arrive. Reste à déterminer le genre de proie il file, quelles sont les intentions.
Il pourrait ne pas s'en mêler, détourner son regard qu'il sait faire impassible. Le monde est rempli de suffisamment de héros qui s'entichent de telles causes, de faire de grandes responsabilités de leurs pouvoirs, au point de vouloir à tout prix sauver toutes les âmes qui passent à leur portée. Il n'en fait pas partie, se dédouane souvent de ce genre de préoccupations.
Mais parfois...
Parfois sa conscience le rattrape, et puis les jours de pluie ont ce prisme...
Il se sent obligé, d'il ne sait trop où, de suivre, d'intervenir, juste au cas où, comme si quelque fil invisible le tirait par là, pour l'obliger à se mettre sur la route d'un quelconque destin.
Il patiente à son tour, en retrait, attend la dernière seconde, l'instant propice, à deux ou trois pas tout juste, hors de portée d'un coup de lame surpris, la toile d'arcanes resserrée atour de lui comme seul camouflage. Et puis, au moment où l'image de la jeune femme tourne à l'angle, il relâche le tout, laisse sa voix s'élever juste assez pour percer les tribulations de la pluie.
- You know, you really shouldn't wait at the end of some back alley like that. In a world full of superheroes eager to please, one of them could think you're a bad guy. Or a vigilente, if she's a criminal. Not that the difference really matters to most of them.