Etape 1, elle est discrète, presque impossible à discerner, et surtout pour moi qui suit le nez dans ma vie et mon quotidien. Il s'agit de petites choses, de petits tracas. Le robinet qui se bouche, une clé qui disparait, la télé qui saute ou des bruits comme des rats sur le plafond ou des oiseaux devant la fenêtre. Etape 2, la nervosité. Les bruits deviennent plus forts, plus agressifs. Le temps semble s'allonger. Mes gestes sont plus brusques. Mes pensées plus vives, aussi. Elle vient généralement assez naturellement après la première, et je m'en rends souvent compte un peu tard. Il faut dire que les petits tracas, ça a de quoi agacer. Et puis vient l'étape 3, et en général, c'est le moment où je me retrouve chez Book, la peau à nu et les dents serrées. C'est le moment où le chaos se manifeste plus visiblement. Le rouge crépitant au bout des doigts. Des choses volent. Des pensées me parviennent que je le souhaite ou non. Souvent sous la forme d'images ou de sons, parfois je ne fais que ressentir une intention. Ça parait utile, amusant en théorie. En pratique, c'est une cacophonie déroutante, et une migraine permanente. Cette fois, pourtant, on bondit de l'étape deux à quatre sans détour ni intermédiaire. - Book. Book, c'est N... C'est Adryan. Je sais qu'on a pas encore convenu d'un rendez vous pour le tatouage mais... Je ne sais pas ce qui s'est passé. Tout est arrivé d'un coup. Il y a.. Les autres, je... Je ne peux pas sortir. C'est trop risqué.

Il y a une odeur de fumée lorsque tu arrives sur le pallier. Dans ce petit cube, par l'escalier à l'arrière, au-dessus de ce restaurant asiatique à l'odeur sucrée omniprésente, il y a une odeur de cigare. Il y a un parfum frais, piquant, quelque chose de boisé et naturel. La porte de l'appartement est entrouverte, mais lorsque tu la pousses, le petit espace cosy que tu as déjà visité a laissé sa place à de hauts murs couleur sable, des boiseries comme des moulures et d'énormes lustres en cristal diffusant une lumière chaude et scintillantes. Là où la cuisine devrait se trouver s'aligne un long bar en bois et marbre noir derrière lequel deux hommes en costume ajustés et aux cheveux gominés s'affairent. La pièce est occupée de tables et de fauteuils de cuirs, parcourus de serveuses en petites robes noires, les talons hauts qui claquent sur le sol. Certaines portent sur leur ventre un plateau de cigares, leurs lèvres d'un rouge sang. Lorsque tu traverses la pièce, longe le bar, tu remarques un long miroir aux bordures dorées. Peu importe les vêtements que tu portais, peu importe ce que tu avais avec toi, tu portes désormais un costume distingué, un véritable gentleman des années 30, toi, le chapeau d'un vert grisé sur la tête, et la mallette en tissu à ta main.

Une arche relie les deux côtés de l'appartement, la porte en bois qui donne normalement sur la chambre s'avère être un panneau de métal et de verre fumé, marquée de l'accès aux sanitaires. Et là, en face, où un bureau et quelques livres devraient se trouver, il y a un magnifique billard au tapis d'un vert neuf, entouré de trois hommes aux costumes noirs sans accrocs. Celui sur la droite est petit et dégarni, une moustache fine comme collée sous le nez, et l'air dépité. Celui à gauche, grand blond cendré à la barbe contrôlée, les bras croisés, observe le jeu pendant que le dernier, en fasse vise l'une des boules colorées de sa queue de billard. Clac. La blanche fonce, repousse la rouge qui disparait dans les entrailles de la table. Le blond applaudit poliment. Le dégarnis essuie un peu de sueur. Le second joueur a des cheveux blonds châtains, coiffés en arrière. Une tâche de vin divise l'un de ses sourcils, et un sourire satisfait éclaire son visage. Le costume qu'il porte a l'air de couter trois maisons, et il met sa stature en valeur comme aucun autre. Tu connais ce visage. Tu connais ce sourire. Tu reconnais sans mal le reflet rouge dans ses rétines lorsqu'elles se posent sur toi. - Book, mon ami ! Tu as trouvé le chemin ! - S'exclame l'homme d'une trentaine d'années, les bras écartés, avenant, alors qu'il contourne la table de billard pour venir te donner une accolade chaleureuse. Sa main tapote ton dos. Ses lèvres se confondent dans ton épaule, sa voix dans un souffle avant qu'il ne te libère de la brève étreinte. - Sauve-moi.